mardi 15 juillet 2014

"Il faut imposer une pratique déontologique dans les rédactions"

Emmanuel Dinh, référent déontologie pour le SNJ à La Réunion. (Photo Julien Azam)

Emmanuel Dinh, journaliste pigiste en télévision, est le "référent déontologie" du Syndicat national des journalistes à La Réunion. Membre du bureau du SNJ 974, il présente cette nouvelle mission.
Divers sondages montrent une baisse de confiance du public dans les journalistes (http://opinionpublique.wordpress.com/2014/01/21/la-profonde-mefiance-des-francais-a-legard-des-journalistes-et-des-medias/). Est-ce nouveau ? Est-ce vrai ? Y a-t-il un problème déontologique, y compris à La Réunion ?
Le public n'est ni sourd ni aveugle : il constate par lui-même l'évolution du contenu qui lui est proposé. En restauration on a vu l'arrivée du fast-food, dans le journalisme la fast-info semble désormais devenir la règle. Il y a peut-être une demande pour cela, mais la profession a également la responsabilité de l'offre. Qu'on le veuille ou non, faire du journalisme, fût-ce pour une entreprise privée, est par essence même un métier de service public. Cela entraîne des devoirs, des exigences, formalisés dès 1918 par le SNJ dans la charte d'éthique professionnelle des journalistes. Le public est en droit d'attendre un contenu professionnel et rigoureux. 
Or que se passe-t-il ? De plus en plus on veut faire vite et plus avec moins. On privilégie les prétendues urgences, les soit-disant scoops, des évènements créés de toutes pièces pour l'audience, au traitement de fond, au recul et à l'analyse. Le journalisme c'est « le contact et la distance » (Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde) ; mais chaque jour, on voudrait nous faire croire que métier rime avec réactivité et productivité. On le constate bien sûr aussi et peut-être même encore plus à la Réunion, qui fonctionne comme un grand village où le public a, depuis longtemps, pris l'habitude de suivre le moindre fait divers en temps réel… L'erreur serait de vouloir suivre au lieu d'apporter distance, éclairage et analyse. L'information « demande du temps et des moyens » dixit dès 1918 la charte d'éthique professionnelle des journalistes. Autant dire que l'évolution complexe du monde depuis lors aurait dû tout naturellement conduire les rédactions à octroyer plus de temps et plus de moyens à l'information ; or c'est précisément le contraire qui arrive.
Que propose le SNJ pour améliorer cette réalité ?
Le Syndicat national des journalistes n'est pas un syndicat comme les autres : c'est le syndicat de tous les journalistes, inséparable de l'histoire du journalisme en France. Dès sa création en 1918, il a ainsi mis l'éthique au centre de son action en rédigeant la charte d'éthique professionnelle des journalistes. Réactualisée en 1938 et 2011, cette charte constitue la référence de la profession, annexée par exemple à l'avenant audiovisuel public de la convention collective. Mais face aux nouvelles menaces et pressions économiques, il faut désormais aller plus loin : imposer une pratique déontologique (annexer la charte à la convention collective), garantir l'indépendance des rédactions (obtenir une reconnaissance juridique de l'équipe rédactionnelle dans chaque entreprise), créer une instance de régulation déontologique qui permettra aussi de retrouver la confiance du public.
A quoi sert un « référent déontologie » à La Réunion ? Pourquoi avoir choisi d’assumer cette fonction ?
Le SNJ a décidé d'aller a la rencontre de ses consoeurs et confrères, syndiqués ou non, pour débattre de la pratique quotidienne de leur métier, de leurs difficultés, de leurs réussites et échecs. Plusieurs outils sont en place pour cela : les outils web (blog, page facebook), les « cafés » mensuels SNJ, véritables occasions de rencontre et de débat, une permanence téléphonique, et désormais un « référent » déontologique, plus spécialement chargé de ces questions. Avec le concours de chacun, le référent peut relever des faits, relayer des questions, animer un débat, rechercher des solutions, et, via le SNJ, interpeller les responsables concernés. Conditions de travail, règles déontologiques, place du marketing… Pour ne pas laisser faire, encore faut-il être au courant, et échanger !
Que conseillez-vous aux journalistes de l’océan Indien qui pensent subir une censure, ou sont contraints à une tâche qu’ils jugent déontologiquement inacceptable ?
Il faut réagir sans délai, et pour cela il faut déjà bien connaître la charte ! La charte est reconnue dans l'ensemble de la profession, aucun journaliste, aucun rédacteur en chef, aucun directeur de la publication ne peut valablement ni moralement s'y opposer. Evidemment, exposés aux contraintes financières, aux prises avec la concurrence, soumis à des pressions internes (publicité) ou externes, ils peuvent -sans toujours s'en apercevoir- franchir la ligne rouge de l'éthique professionnelle. C'est alors le devoir de tout journaliste de leur rappeler la règle. C'est l'intérêt aussi du media que ce rappel ait lieu à temps ! Les dégâts d'une mauvaise information, d'une faute journalistique sont potentiellement immenses, car pour le titre c'est un dommage sur l'image, sur la marque et sa réputation. Contrairement à ce que certains dirigeants voudraient croire, la déontologie ne menace pas leur rentabilité : au contraire, elle protège durablement la réputation du titre, garantit son indépendance, sa liberté de parole, son sérieux et donc, in fine, son audience.
Propos recueillis par Véronique Hummel
Pour contacter Emmanuel: snjreunion@gmail.com ou emmanuel.dinh@laposte.net, tél. 06 92 30 22 23.
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